Un jour, une oeuvre : Ophelia, John Everett Millais

Sir John Everett Millais, Ophelia, Huile sur toile, 76,2 x 111,8 cm, 1851 (Tate Britain, Londres, UK)

Beauté si diaphane que l’eau claire paraît noire en comparaison de ce teint immaculé. Jeune femme racontant Shakespeare tout en écrivant l’idéal esthétique des Préraphaélites.

Bienvenue dans l’univers de John Everett Millais

Si la fraternité fondée par les peintres Anglais a pour idéal le Trecento et le Quatrecento Italien, l’oeuvre semble néanmoins enfermée dans le romantisme du XIXeme siècle. Elle est d’ailleurs assez proche des œuvres faites sur le même thème par Gervex et Cabanel, une certaine théâtralité décadente en moins pour le dernier.

Nous sommes ici en présence d’Ophélia, personnage de la pièce « Hamlet » de Shakespeare (thème cher aux Pré-raphaélites). Fille du Roi Polonius, elle sombre dans une prétendue folie à la mort de ce dernier, se laissant emporter par les eaux en chantant.

Ce qui marque en premier ici, c’est l’absence d’intensité dramatique de la scène. Millais comme ses apôtres, n’aime pas les représentations violentes. En ce sens, on ne pourrait dire si la jeune femme est emportée par l’eau ou si elle en sort, telle une divinité païenne. La bouche légèrement entrouverte, elle ne laisse parvenir aucune peur. Ses mains semblent êtres en position d’Abbhaya Mudra, geste de l’absence de crainte dans les antiques sculptures du Buddha.  Gestuelle rhétorique au service du calme impénétrable de la nature sauvage.

Les ondées légères de l’eau permettent de donner un lent mouvement au personnage, et ce, malgré son évolution au sein d’une nature  complètement figée. On la regarde passer lentement, tel un vaisseau fantôme, sa robe se prenant dans la végétation qui frêne, ça et là, sa course vers de froides profondeurs.

Nous sommes les spectateurs d’un instant lourd et pourtant en apesanteur. Ralenti de beauté véritable qui sauve un instant cette jeune femme de son destin funeste, rappelé par la souche d’arbre mort vers laquelle elle glisse infailliblement. Allégorie d’une mort qui prend sans discernement les chênes majestueux et les buissons bâtards, les enfants du peuple et les filles de rois.

Néanmoins la nature est féconde. Et si le thème floral est ici sublimé par le peintre, il est omniprésent dans le personnage littéraire d’Ophélie.

Ainsi la jeune femme (comme le représentait d’ailleurs Gustave Moreau) tiendrait beaucoup d’Orphée. Elle serait, non en passe de mourir, mais de devenir une divinité florale, envoûtant les hommes de la beauté de la nature. C’est ce qu’appuie aussi Millais dans son chef d’œuvre. Ophélia est ici entourée de fleurs, le bustier de sa robe semblant même reprendre des motifs de pétales. Son attitude corporelle, (sourcils décrivant des courbes montantes, bouche et yeux entre ouverts, bras en parabole, teint du visage rougissant peu à peu sur les pommettes), décrit l’action de l’ouverture, du renouveau, d’un certain bourgeonnement.

Pareille aux Pré-Raphaélites, elle encense le passé pour en accoucher la splendeur. Laissant son enveloppe corporelle aux nuées qui la portent, elle est déjà en osmose avec la végétation. Les fleurs, comme nos regards, semblent éclorent au passage de cette beauté chantante.

Exposition Les Pré-Réphaelites, l’avant-garde victorienne, Tate Britain, jusqu’au 13 Janvier 2013.

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