Un jour, une oeuvre : Le portement de Croix ou Lo Spasimo, Raphaël

Raphaël, le Portement de la Croix ou lo Spasimo di Sicilia, 1516-1517, huile sur bois transférée sur toile, 318 x 229 cm, Musée du Prado, Madrid.

Ce retable a été commandé à Raphaël par le monastère Olivétain de Santa Maria dello Spasimo entre 1515 et 1516. L’œuvre représente l’avancée du Christ vers le Mont Calvaire, mais l’artiste insère dans un seul tableau de nombreuses étapes du chemin de croix, créant un ensemble prodigue en personnages et en narration.

Au premier plan se tient Jésus, pliant sous le poids de son fardeau, il chute et s’appuie à une pierre. Le regard de l’observateur va droit à lui par un effet de diagonales opposées ingénieusement. Tout d’abord, celle partant des lances du coté haut droit, appuyée par le bras du cavalier, puis par la croix. Le geste de la vierge Marie vers son fils souligne ce mouvement. Cette diagonale vient se heurter à celle partant du haut gauche du tableau, de la lance qu’un soldat tient pointée vers Jésus. Ce choc rend la composition dynamique et met en exergue le personnage principal. Christ en souffrance, ces lignes descendantes semblent accompagner sa chute, pire, elles l’entraînent et font de lui l’exutoire des tensions exprimées par chacun des protagonistes. Une dimension de martyre s’ouvre à nous, bien trop tangible pour être ignorée.

Le cavalier à droite ordonne à l’un des spectateurs d’aider le supplicié à porter sa croix. C’est Simon de Cyrène qui s’attelle à cette tâche, le visage tourné vers le chemin restant à parcourir dans une expression de gravité noble. Le traitement de ce personnage contraste avec celui du christ, tourné dans la direction inverse et à l’expression de souffrance mêlée de béatitude. Là encore, Raphaël joue la carte des oppositions de registres afin d’accentuer le dynamisme du tableau.

Détail, Raphaël, Le portement de Croix.

L’effet de tumulte est saisissant, on imagine sans mal la composition s’animer, le brouhaha de la scène atteindre nos oreilles et nous plier dans un sentiment d’empathie inévitable.
La vierge accourt vers son enfant dans une attitude de compassion totale. Elle est soutenue par les quatre Marie, couronnées d’une auréole dorée. La souffrance engendre la souffrance, les maux du fils endolorissent la mère, provoquent chez elle un spasme d’agonie: lo spasimo, c’est le titre du tableau. Cette communion est soutenue par la rencontre de leurs regards, tendresse qui les isole un court instant de la vindicte qui se joue.

Un court instant seulement car un homme a encordé le christ afin de mieux le mener à son supplice. Ce personnage est le même, simplement inversé que dans une autre œuvre de Raphaël : Le jugement du roi Salomon, fresque des appartements pontificaux, au Vatican.

A gauche, détail d’un personnage en bas à gauche, Raphaël, le portement de Croix.
A droite, Raphaël, le jugement de Salomon, fresque du plafond du Vatican.

Au loin se dessine le Golgotha, les deux croix des larrons y dressent déjà leurs extrémités vers les cieux, signe de l’inéluctable et tragique chute de la scène à laquelle nous assistons. L’artiste compacte ainsi un passage biblique morcelé en de nombreuses étapes, pour n’en faire qu’un seul tableau. Il donne de la sorte à son œuvre une dimension divinatoire, comme le souligne peut-être le personnage brandissant sa lance contre le christ, à gauche de la composition. N’est ce pas une projection du geste de Longinus, se préparant à percer le flan du christ à l’aide de la sainte Lance ? Ne le saurons nous jamais.

Tous ces aspects rendent lo spasimo unique. Elle est porteuse de l’audace du peintre, qui, de main de maître, condense les lignes les plus étirées du livre de la Bible en une simple scène. Nous n’avons qu’à déplacer notre regard pour en tourner toutes les pages. Si certaines sont absentes, libre à notre imagination de les placer sur le chemin qui mène à cet arrière plan théâtral.Ce Mont Calvaire, trop loin pour être réel, trop présent pour être une fable.

L’histoire veut que le tableau, une fois achevé, chemina par les mers vers son lieu d’exposition. Le navire fit naufrage au large de Gênes et l’œuvre fut sauvée des eaux de justesse. Miracle? jeu du sort? À méditer dans tous les cas.

Exposition Raphaël, les dernières années, jusqu’au 14 Janvier 2013. Musée du Louvre, Paris.

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